Club des Patineurs de Genève

Classe à part

 

Entretien privilégié avec Monsieur Peter Grütter

par Iyad F. Musa (Vice-président du CPG)   

                                             

Installé confortablement pour l’occasion, Monsieur Grütter nous parle de son parcours, ses aspirations et sa vision du patinage artistique en Suisse et au-delà.

 

 

Monsieur Peter Grütter, comment peut-on vous présenter à quelqu’un qui n’a jamais entendu parler du patinage artistique?

J’enseigne le patinage artistique depuis plus de 50 ans. Je suis né en 1942 à Berne que j’ai quitté en 1967 pour Crans-Montana qui cherchait un professeur. Dix ans plus tard, j’ai accepté l’offre du Club des Patineurs de Genève, et voici donc j’enseigne aux Vernets depuis… 42 ans! Très vite, j’ai vu mes élèves monter sur les podiums nationaux; bien avant les deux titres mondiaux et la médaille olympique de Stéphane Lambiel.

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©Peter Grütter à la Patinoire des Vernets du Club des Patineurs de Genève (2019)

 

J’ai eu la chance d’être invité par plusieurs fédérations nationales pour donner des séminaires; ce que je fais encore maintenant, sur invitation de l’ISU (International Skating Union).

Récemment j’ai été nommé ‘Life Time Coach’ par Swiss Olympic et ‘Membre d’honneur’ de l’Union Suisse de Patinage; ce qui ne m’empêche pas d’avoir beaucoup de plaisir à partager ma passion du patinage avec des débutants et des enfants passionnés.

 

À quel âge avez vous commencé le patinage? Et Comment?

A l’âge de 6 ans, lors de la fête costumée de la ville de Berne, j’ai vu une parade de patinage artistique!

Ce spectacle a été une révélation, j’ai tout de suite adoré la magie produite par des figures sur une belle musique – l’impression de survoler une surface gelée et de s’échapper, par la glisse, à la pesanteur.

Je rêvais de pouvoir m’entraîner auprès du célèbre professeur Suisse Jacques Gerschwiler à Londres, mais les moyens limités de ma mère ne me l’ont pas permis!  Heureusement, sur le tard, j’ai eu la chance de bénéficier de son extraordinaire expérience et de sa technique pionnière.  C’était trop tard pour ma carrière de compétiteur mais c’est grâce à lui que j’ai pu construire ma carrière de professeur.

 

"J’ai eu la chance de faire de mon sport préféré et de ma passion mon métier."

 

À 77 ans vous êtes toujours le premier arrivé sur glace avec une discipline remarquable pour y passer pas moins de 10 heures quotidiennement. De plus, en été vous naviguez entre Champéry en Valais, Oberstdorf en Allemagne, et l’Italie. Où trouvez-vous cette incroyable motivation?

 Mes motivations sont diverses: d’une part,  j’ai eu la chance de faire de mon sport préféré et de ma passion mon métier, d’autre part mes voyages m’ont permis et me permettent toujours de rencontrer de personnes extraordinaires. Cette expérience jusqu’à maintenant (je touche du bois!), m’a octroyée une certaine liberté que j’ai mise au service de mes élèves. 

 

 

   ©Peter Grütter à Champéry (2018) 

  

Le grand public vous a découvert en 1964 à Innsbruck quand vous représentiez la Suisse aux JO, puis par la suite comme entraineur des champions de patinage artistique, est-ce un statut difficile à assumer?

 On ne devient pas professeur de champions du jour au lendemain! Si on a de la chance de former des graines de champion, on rentre petit à petit dans le cercle des entraîneurs (re-)connus – but ultime de la plupart des coaches. Ces dernières années, les retransmissions télévisées ont contribué à faire connaître non seulement les athlètes mais aussi leurs entraîneurs. Je ne dirais pas que le statut est difficile, mais qu’il oblige à maintenir une forme d’exemplarité.

 

   ©Peter Grütter à Innsbruck (1964)

 

Si vous deviez choisir trois qualités nécessaires pour réussir dans le monde du patinage artistique, lesquelles seraient indispensables à vos yeux?

La passion, la persévérance et bien sûr des qualités physiques.

 

Formé par Jacques Gerschwiler, serait-il correct de dire, que grâce à vous, cette méthode a pu perdurer depuis plusieurs décennies?

Dans un sens, oui, mais je ne suis pas le seul, et de loin! Dans les années 1960, Jacques Gerschwiler a offert aux professeurs affiliés à l’Association suisse des Maîtres de patinage de partager sa méthode et sa technique. Tous les membres ont pu bénéficier de ce geste généreux et intelligent. Encore faut-il être capable d’en comprendre le fil rouge et de savoir l’adapter aux patineurs et à leurs capacités. Comme Jacques était invité dans le monde entier, sa technique a pu essaimer. Aujourd’hui encore, beaucoup de professeurs de champions mettent en pratique sa technique, surtout au Japon.  

 

                                    "Encore faut-il être capable d’en comprendre le fil rouge et                                        de savoir l’adapter aux patineurs et à leurs capacités."

 

Le Club de Patineurs de Genève fondé en 1924 est indéniablement parmi les plus grands qui a vu naître les grands champions tels que Stéphane Lambiel et Laurent Alvarez, quel est votre objectif pour le patinage artistique en Suisse avec le CPG?                                                                          

  Vous avez raison, le CPG est un des club le plus titrés de Suisse –          avec des champions comme Stéphane Lambiel, bien sûr, mais aussi:   Samuel  Contesti,   Alisson Perticheto,   Anna Ovcharova,             Stefanie Schmid,   Laurent Alvarez,   Raphaël Bohren,                       Noémie Silberer,  Berak Destanli,  Diane Gerenscer et Bernard Columberg…(entre autres) qui ont tous été champions suisses et, pour la plupart, brillés sur la scène internationale.

Mon objectif? Que nous, les professeurs genevois, puissions continuer à former des futurs champions en toute liberté.

 

       Patinoire des Vernets du Club de Patineurs de Genève.png

© Patinoire des Vernets du Club des Patineurs de Genève

 

Quel a été le moment dont vous avez été particulièrement fier en tant que professeur?

Je pourrais dire: le moment où Stéphane Lambiel a eu son premier titre mondial, à Moscou, et qu’il a réalisé le rêve qui était le mien, à son âge. Les Jeux Olympiques de Turin ont été aussi un moment fantastique, mais j’ai presque autant de plaisir à voir chacun de mes élèves progresser, gagner en technique et en musicalité. 

 

Le patinage artistique est un sport qui allie à merveille l’exploit athlétique, une grande difficulté technique, le rythme avec élégance. Quelle est votre approche pour motiver les athlètes à avoir une discipline pour venir patiner tous les jours et continuer à progresser malgré les difficultés rencontrées?   

De nos jours, nous avons la chance de pouvoir suivre les meilleurs patineurs de la planète à la télévision ou sur YouTube. Je propose à mes élèves de suivre cela attentivement, en leur expliquant le travail, l’effort et les heures d’entraînement qu’il faut en plus du talent; j’essaie de leur faire comprendre que les obstacles rendent la chose encore plus belle.

 

Vous avez coaché beaucoup de passionnés du patinage artistique à Genève mais aussi à Champéry et bien au-delà; selon vous, quel est le patineur/patineuse le plus doué de tous les temps?

Il y en tant de doués et de passionnés que c’est difficile de se fixer sur un nom; puisqu’il faut en citer un, je dirais: Stéphane Lambiel.

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                           ©Peter Grütter avec Stéphane Lambiel à la Patinoire du Club des Patineurs de Genève (Image: Sebastien Feval)

 

Pensez-vous avoir contribué à revaloriser/embellir le patinage artistique?

  Oui, mais comme plein d’autres entraîneurs aussi. Le problème actuel est que tout est devenu plus difficile, notamment avec le système de notations qui, à mon avis, n’évolue pas dans le bon sens. Les patineurs sont contraints de courir après les points et les détails, au détriment du plaisir et de l’émotion.

 

 

 

 

 

                    ©Peter Grütter à Berne (2012)

 

Vous avez été élu membre d’honneur de la fédération Swiss Ice Skating, un titre de plus à ajouter à votre palmarès ou une responsabilité supplémentaire?

Ce titre honorifique de la fédération Swiss Ice Skating a été un grand moment dans ma carrière. J’aimerais bien trouver le moyen de tirer la Suisse hors de son rôle de figurant actuellement sur la scène mondiale du patinage.

 

"Ce titre ….a été un grand moment dans ma carrière."

                                                                                                                                

Depuis la retraite de Stéphane Lambiel et celle de Sarah Meier, la relève helvétique semble briller par son absence.  Quelle est votre analyse?

En effet, nous n’avons pas encore trouvé de successeur, même si chez nos tous jeunes athlètes, ces dernières années, le niveau s’est considérablement amélioré.  J’ai trouvé un dicton qui résume le problème suisse:     "Le confort, c’est la mort du sport!" Le patinage est un sport où il faut s’entraîner énormément; qui  exige de nombreux efforts et de la persévérance. Malheureusement, les infrastructures et le système scolaire en suisse ne sont pas adaptés à la pratique de ce sport! 

En Suisse, la plupart des enfants sont trop assistés, pas assez indépendants et beaucoup de parents rechignent à encourager leurs passions. Ils préfèrent que leurs enfants fassent un peu de tout, plutôt que d’approfondir un domaine.

De plus, depuis quelques années, nous assistons à un phénomène nouveau: les parents courent toute la planète pour que leurs enfants suivent des stages dans des centres soi-disant prestigieux. Les enfants reçoivent trop d’informations contradictoires. Cependant, regardez les grands champions d’hier et d’aujourd’hui: la plupart sont restés fidèles à un ou deux professeurs référents durant toute leur carrière.

 

Les JOJ à Lausanne en 2020 et les Jeux Olympiques de Beijing en 2022, avez-vous découvert des éléments prometteurs? Pensez-vous que la Suisse a des chances de médailles dans cette discipline?

Aujourd’hui, se qualifier pour de tels événements est aussi difficile qu’être médaillé à l’époque. Pour les chances de médailles suisses, pourquoi pas….. 

 

Que faut-il faire pour vous aider à développer le patinage artistique? Quelles sont les points clés à améliorer?

Ce serait bien que l’Union Suisse de Patinage appuie ma proposition auprès de l’Union Internationale de Patinage de créer un championnat d’Europe et du monde pour les novices; et ensuite relever l’âge de participation aux mondiaux et européens juniors et élite. Par ailleurs, je trouve qu’en Suisse les tests sont trop difficiles, et que cela décourage tout le monde trop rapidement.

 

Votre engagement envers le monde du patinage et le club de Patineurs de Genève est sincèrement admirable et mérite tout le respect, reste-il un peu du temps pour voir votre famille ou vos amis?

J’ai la chance d’avoir beaucoup d’amis formidables; et ma famille, c’est la famille des patineurs.

                                                        

 

Entretien réalisé le jeudi 10 octobre 2019 à la Patinoire des Vernets du Club des Patineurs de Genève.

 

 

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